Mais que fait elle des heures durant ?

Héritier Van Mortier Nombre de messages : 11 Date d'inscription : 18/07/2007

Comme d'habitude.
Je suis assise.
Dans ce fauteuil en rotin recouvert d'un épais édredon de couleur rouge.
Je regarde autour de moi et je ne vois rien d'autre de coloré.
Tout ce qui m'entoure est blanc sale ou gris.

A notre arrivée, ma délicieuse soeur a voulu m'installer dans une grande chambre pleine de couleurs, de vie et de lumière. Je ne supporte pas cela. Je me suis donc installée dans une chambre juste avant le grenier, là où devaient dormir les employés jadis. Elle est minuscule ma chambre. Un seul rai de soleil passe à travers une insignifiante fenêtre toute ronde et très près du plafond. L'unique carreau est cassé, ce qui laisse passer le froid et le vent. Dans mon petit endroit à moi, il y fait constamment froid et humide. Si mes pauvres parents étaient encore de ce monde, paix à leurs âmes, ils deviendraient sûrement fous d'inquiétude pour ma santé si fragile d'après eux. Mais peu me chaut et je suis bien dans ce froid, même si je ne suis jamais sans ma vieille couverture d'enfant sur les épaules. Ceci est peut être le seul objet que j'ai gardé de mon ancienne vie. Elle a perdu depuis longtemps ses couleurs mais on peut toujours y voir la broderie de mon prénom dessus. Ma mère m'emmaillotait toujours dedans quand je prenais froid. Ma mère. Une larme coule sur ma joue glacée et cela me brûle. Pourquoi est ce que je pleure ? Non pas parce qu'elle est morte mais parce que j'aurais aimé la connaître autrement que par ma nourrice. J'aurais aimé avoir des parents qui me préparaient le petit déjeuner le matin, qui me faisaient réciter mes poésies, qui venaient me voir à mes récitals de musiques.

Et oui ... ma seule passion, la musique. Ma soeur a eu la gentillesse de faire installer un vieux piano dans ma chambre ainsi qu'un vieux gramophone et tous les disques de père. Le piano était plein de poussière et désaccordé. Je l'ai réaccordé moi-même et nettoyé mais mes poumons en ont longuement souffert. J'ai été malade quelque temps et je dus aller à nouveau voir un médecin. Je hais ces charlatans. Mes parents étaient médecins et par leur faute, j'étais condamnée à vivre comme une personne dans ses dernières heures de vie. Toujours cloîtrée. Sans voir personne. Et la musique fut un des moyens, avec la lecture, pour pouvoir m'échapper des quatre murs de ma chambre. A présent, j'ai peur d'en sortir. Je ne me sens à l'abri que dans cette chambre. Les gens me terrifient. Je n'aime pas le contact d'un corps sur moi. Je n'aime pas qu'on me touche, qu'on m'embrasse. La seule personne que je tolère est ma soeur. Sa peau douce et sa voix me rassurent. J'aimerais que mon frère en fasse de même parfois. Qu'il me prenne dans ses bras. Il ne le fera sans doute jamais. Il entre à peine dans ma chambre. Trop haute, trop sombre, trop froide pour lui.

Il n'a pas tort. Je continue de regarder autour de moi. Les coins de ma chambre sont sombres. On ne voit rien en fait. Juste cette lumière qui vient mourir sur mon piano. Il est beau mon piano. J'ai l'impression qu'il m'appartient. Et j'aime jouer à quatre mains dessus. La nuit. Quand elle vient. Mon amie pianiste. Elle gémit dans mon oreille et me réveille de ses glaciales caresses pour que nous jouions ensemble. Elle est jeune et belle. Elle est l'une des rares à ne pas m'en vouloir pour ce que ma famille lui a fait. Elle me dit être bien plus heureuse à présent. Son père la battait et sa pauvre mère recevait régulièrement des coups. Elle avait comme seul exutoire, la musique. On se ressemble beaucoup. Seules et tristes. Mais elle était très pauvre et devait régulièrement se sauver durant la nuit pour jouer dans la petite église sur un vieil orgue. Si elle n'avait pas été dans cette petite ville perdue, elle aurait pu avoir une magnifique destinée. Et je lui rends en quelque sorte hommage en jouant avec elle, la nuit.

Tout le monde se dit que je suis folle. Peut être est ce vrai ... Mais je les vois, je les entends, je les sens. Parfois, j'aimerai être avec eux. Dans leur monde. Mais s'ils sont encore là, bloqués entre deux mondes, c'est pour une bonne raison. Chacun doit accomplir une tâche qu'il n'a pas eu le temps de finir ici bas. Mais puis je les aider ? Pour expier les pêchés de ma famille ? Je ne sais pas. Et je reste là, assise durant des heures à y penser. Je mange peu. Je sors peu. Je vis peu. Les seuls mouvements que je fais dans une journée sont de faire ma toilette et de m'asseoir dans mon grand fauteuil après avoir mis un disque de jazz qui appartenait à mon père et je passe mes journées ainsi à lisser mes cheveux fins en écoutant de la musique.

Parfois, je me laisse aller à rêver que quelqu'un entre et vient me parler. Et que cette personne ne pense pas que je suis folle. Parfois, j'aimerai voir cette porte s'ouvrir sur une personne qui veut en apprendre plus sur moi et sur les esprits qui m'entourent. Parfois, j'aimerai pouvoir accepter qu'un homme me prenne dans ses bras. Parfois, je rêve et je reste ainsi les yeux rivés sur ma porte à attendre ce jour ...

Je frappa deux légers coups à la porte de Joanna, avant d’entrer, sans attendre sa réponse. Je savais que j’étais habituellement la bienvenue dans cette chambre. Chambre que je détestais au passage. Elle était petite, sombre, froide, isolée. J’étais loin d’être convaincue que cela était l’idéal pour ma petite sœur. Elle était déjà si seule, je ne comprenais pas pourquoi elle avait tant insisté pour avoir cette chambre. Évidemment, j’avais tenté de lui apporter un peu de chaleur et de beauté, mais Joanna avait refusé. Tout ce qu’elle voulait était le piano de la famille et le vieux gramophone de notre père. Je croyais que se serait bien pour elle, obtenir ce qu’elle désirait, se sentir entourer par des objets qu’elle aime. Mais, elle n’avait fait que se refermer encore plus aux autres.

-Joanna?

Je la repéra, assise sur un fauteuil. Un frisson me parcourut. Il faisait si froid dans cette pièce. Je leva les yeux vers l’unique fenêtre. Ma sœur était quelqu’un de têtu lorsqu’elle le voulait. Elle avait refusé que la fenêtre soit réparée. Je ne la comprendrais décidément jamais.

-Tu veux venir préparer le repas avec moi? Que pour toute les deux.

Je souris, ou plutôt tenta de sourire. Elle sortait si rarement de cette pièce. Je doutais qu’elle accepte, mais je l’espérais fortement. Je m’inquiétais pour elle. Maverick aussi, j’en étais certaine, malgré ses airs de je-m’en-foutisme. Le réalisait-elle seulement, que sa famille s’inquiétait pour elle?

-S’il-te-plaît…

Héritier Van Mortier Nombre de messages : 11 Date d'inscription : 18/07/2007

Je continuais à lisser mes cheveux doucement en écoutant un duo entre le Duke et Ella Fitzgerald qui s'appelle Lullaby of Birdland. Je balançais ma tête doucement de droite à gauche et mon corps d'avant en arrière.
J'avais plusieurs fois entendu ma soeur parler à mon frère de ce comportement qu'elle décrivait d'étrange. Elle pensait que j'étais atteinte d'autisme. Mais il n'en était rien. Je n'étais ni folle, ni malade. Si je me comportais ainsi, c'est tout simplement parce que j'aimais me laisser bercer par la musique.

Je l'avais aussi entendu parler de moi avec ce policier qui ne m'avait pas l'air très finaud. Ou peut être tout simplement maladroit devant la beauté de ma soeur. Je ne sais guère. Elle avait voulu prendre ma défense en disant que je n'y étais pour rien dans le feu qui s'allumait tous les soirs. Elle a dit que j'étais malade et que, par conséquent, je ne pouvais faire ce genre de choses. Elle pense que je ne sors jamais de ma chambre mais je me faufile souvent au grenier pour aller fouiller dans de vieilles malles familiales. Et je les entends parler de moi la nuit. On entend tout depuis le grenier. Le son remonte et j'écoute ce qu'ils pensent tous. Je sais tout ce qui se dit quand ils sont dehors sur le perron.
J'aimerais tant lui prouver qu'avec de la patience et du temps, je suis capable de beaucoup de choses. J'ai même décidé de sortir de ma chambre en journée. Peut être pas de longues heures mais histoire de prendre un thé avec elle ou même l'aider pour faire un peu de ménage ou de rangement. Je ne veux plus être la paria de la famille.

J'entendis tout d'un coup quelqu'un frapper à ma porte. Ceci me surprit mais depuis longtemps, je ne tressautais plus à chaque chose qui me surprenait. J'en serai morte d'une crise cardiaque dès le premier soir dans cet hôtel sinon. Je vis ma soeur apparaître dans un halo de lumière et la chaleur entra dans ma chambre. Je me sentis alors comme étouffée mais ne dit rien pour ne pas avoir encore une remarque sur ma marginalité. Je cessai donc de me balancer et me tint plus ou moins droite dans mon fauteuil. Je l'accueillis d'un sourire qui se voulait sincère car j'étais heureuse de la voir venir dans mon antre.

-Tu veux venir préparer le repas avec moi ? Que pour toutes les deux.

Je la regardais sans rien répondre. Je parlais peu. Mais j'aurai aimé qu'elle puisse lire dans mes yeux, le plaisir et la joie qu'elle me donnait à me demander cela. J'avais attendu des mois qu'elle vienne me proposer une activité rien que nous deux. Même rien qu'une activité de toute façon. Je n'y serai jamais allée de moi-même de peur de la déranger et surtout à cause de la peur d'un refus de sa part. Ne parlons même pas de mon frère.

- S’il te plaît …

Mais bien sûr qu'il me plaisait. Je voulais passer du temps avec elle. Et je mangeais si peu que ... Je tentai alors de me lever de mon fauteuil. J'esquissai le geste quand je sentis, soudainement, une pression sur mes bras comme si quelqu'un avait posé ses doigts sur mes poignets pour les tenir fermement. Je regardai alors Anastasia et poussai un petit gémissement inaudible. Les mains invisibles me retenaient de plus en plus forts et on voyait des marques de doigts s'enfonçant dans ma chair. Si elle le voyait de ses propres yeux, peut être commencerait elle à me croire à propos des esprits. Une larme coula le long de ma joue car je souffrais de plus en plus mais aucun son ne sortait de ma gorge. J'essayais de geindre et je suppliais, des yeux, Anastasia de m'aider à me relever. Je la voyais à travers l'esprit. Elle attendait toujours sur le pas de la porte. Elle attendait sa réponse. Je voulais absolument l'alerter pour qu'elle ne reparte pas pensant que je ne voulais pas venir avec elle et continuer ma vie en autarcie dans ma chambre. J'ouvris alors la bouche encore plus grand et je poussai un cri strident, mêlé de douleur et de désespoir et j'entendis alors comme l'écho de mon cri mais par une autre voix et les mains me lâchèrent. Je m'écroulai alors, dans mon fauteuil, en sueur, malgré le froid de ma chambre, le regard embrouillé distinguant à peine ma soeur.

Tout semblait bien se dérouler. Une petite lueur s’était allumée dans le regard de Joanna. Elle semblait heureuse que je l’invite à faire quelque chose. Il y avait tellement longtemps que nous n’avions rien fait toute les deux. Lorsque je vis son regard, je crus alors que les choses iraient bien. Mais je me trompais.

Quelque chose sembla la gêner, l’empêcher de se lever. Je baissa les yeux vers ses pieds. Rien. Je retins un soupir de tristesse. Elle allait encore me faire le coup. Elle ne pouvait pas venir car les «esprits» l’en empêchaient. Je tentais de ne pas paraître triste, mais ce n’était pas évident. Surtout en voyant l’expression sur son visage. Elle semblait réellement souffrir, incapable de me dire quoi que se soit.

-Joanna…, murmurais-je doucement.

Une larme coula alors sur sa joue, faisant rater un battement à mon cœur. Je n’aimais vraiment pas le voir dans cet état. Elle m’effrayait, elle me rendait triste également. Personne ne souhaite voir une personne qui lui ait chère se détruire de cette façon, ou plutôt être détruit par ce genre de maladie.

Je m’approcha doucement d’elle, pour ne pas l’effrayer, pour tenter de la faire sortir de cette transe étrange. C’est alors qu’elle poussa un cri. Je sursauta et mon cœur se mit à battre de plus en plus rapidement. Je me précipita sur elle et l’attrapa par les épaules. Je la força à me regarder dans les yeux. Elle pleurait. Moi aussi. Je ne pouvais pas m’en empêcher.

Je la tira vers moi et la serra dans mes bras, fortement. Je ne voulais pas la lâcher. Je voulais… Je ne sais pas ce que je voulais. Je voulais que tout cela s’arrête, qu’elle aille mieux. J’espérais presque que le fait de la serrer dans mes bras chasse tous ses démons.

-Allez viens… Tu dois sortir de cette chambre…

Un bon bain chaud pour elle, pour la réchauffer, bien qu’elle soit couverte de sueur suite à cette bagarre invisible. Un thé pour moi, adosser à la porte de la salle de bain pour m’assurer que rien ne lui arrivait. Ensuite, un repas. Oublier ce qui venait de se produire, passer à autre chose. Si simplement c’était possible…

-Tu as pris tes médicaments?

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